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Saturday, December 28, 2013

009 - Un court instant sur Terre : Dien-Bien-Phu

Sous ses yeux, Le Parisien des samedi 8 et dimanche 9 mai annonçait en une : «Dien-Bien-Phu est tombé.» Dix jours déjà ! Les nouvelles de France parvenaient ici par miracle et en prenant leur temps. Leleu parcourut encore quelques pages intérieures puis revint en une savourer le chapeau : «Les Viets s'étaient rués à l'assaut du camp retranché durant 20h. sans interruption.» C'était donc fini, bien fini ! Bon débarras ! Leleu se hâta de lamper la bière qui tiédissait, alluma le moignon d'un cigare et s'allongea sur le lit Picot dont la toile s'était faite à la forme de son dos. De l'autre côté de la frontière, ses camarades d'infortune qu'il avait volontairement abandonnés sans regret à la Noël 53, pour venir se terrer dans ce coin du Cambodge en attendant des jours meilleurs, s'ils étaient encore en vie, devaient commencer à rentrer chez eux. De Saint-Exupéry, Leleu n'avait retenu que quelques mots qui le faisaient invariablement ricaner. Il récita :«Le Soldat n’est pas un homme de violence. Il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes. Son mérite est d’aller sans faillir au bout de sa parole tout en sachant qu’il est voué à l’oubli.» Leleu ricana et se promit d'oublier les quarante jours que lui prit la seule traversée Bien Hoa-Saïgon-Go Dau Ha jusqu'à Svay Rieng, un tout petit bout de monde finissant.