chroniquesdurien

Friday, June 23, 2006

Quai des brumes

Je crois me souvenir que dans le Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, Raoul Vaneigem rapporte l'anecdote d'une vieille paysanne togolaise disant en substance à un technicien européen : "Vous êtes d'excellents forgerons mais de piètres êtres humains".
La civilisation occidentale qui porte au pinacle la science et ses avatars vient d'offrir le plus beau des écrins aux arts dits premiers.
Vivant sans dieu(x) et ayant repoussé le sacré aux marges de sa vie, la voilà qui accueille dans sa plus belle cité des objets que l'Autre a chargés de sacré et dont l'unique destination est de témoigner de ce sacré et de la présence de l'invisible qui imprègne et irrigue toute sa vie.
Beaux ou laids, effrayants ou bienveillants, pour peu qu'on les regarde avec tout ce dont la science ignore la présence en nous, pour peu qu'on tende vers eux les antennes du sensible et qu'on oublie pour un instant les dogmes de la science qui rassure comme la foi rassure les esprits faibles, pourraient nous parvenir d'eux comme de lointaines galaxies des signaux qui feraient de nous des hommes découvrant que leur monde peut être distordu, anarchique, un vrai monde riche de son chaos, un bordel à l'harmonie effrayante.
Les "piètres êtres humains" ont donc excellemment forgé une cathédrale pour accueillir dans un ordre et un agencement parfaits des objets qui portent en eux la puissance du désordre et la beauté du chaos.
De l'eau de la Seine montent avec les brumes les formes incertaines des esprits célébrés par l'Autre, Ailleurs et en d'autres Temps ;
Et sur les berges de la Seine, comme une plaie au flanc de l'Ordre, une lampe d'Aladin abritant des myriades de Génies. Frottez-y votre âme.
Peut-être en sortira-t-il quelque chose de merveilleux ?