chroniquesdurien

Saturday, November 23, 2013

008 - Un court instant sur Terre - Olga

Olga se coiffe devant le miroir de la salle de bain. Dans l'appartement collectif, pas un bruit. Elle noue un fichu très coloré sur ses cheveux châtains, laisse dépasser une mince frange sur le front. Elle frotte très fort ses lèvres pour en accentuer l'éclat et la rougeur. Elle passe la langue sur ses dents. Olga s'apprête à sortir. Elle cherche un stratagème pour éviter de croiser sa mère. Pour éviter qu'encore une fois sa mère la traite de catin. Son père ne compte pas. Il est au diable. Elle ajuste ses seins corsetés dans un soutien-gorge mal taillé. Dans le miroir, le reflet moustachu de Staline. Elle lui tire la langue. Il est mort depuis plus d'un an ; elle, elle est vivante. Vivante… Si vivante…

007 - Un court instant sur Terre - La dame blanche

A midi, une grosse voiture noire s'arrête de l'autre côté de la rue caillouteuse. Le chauffeur manœuvre délicatement pour la parquer à l'ombre sur le côté de l'échoppe du cordonnier. De petites sautes de vent poussent des bouffées de poussière sur les roues. Les enjoliveurs brillent encore malgré les kilomètres de piste avalés pour monter jusqu'au village. Son chiot jaune et gras sur les genoux, les pieds nus dans la poussière, les fesses endolories, Isidoro gigote sur le tabouret branlant sur lequel il s'assoit quand sa mère le chasse de la maison. La voiture remplit les yeux d'Isidoro. Le chauffeur, un grand mulâtre, descend. Les boutons argentés de son uniforme noir luisent. Il s'incline, ouvre la portière arrière. D'abord des bottines noires au talon fin, un liseré de dentelle blanche et les longues jambes. Une main pâle tenant des gants de peau. La dame blanche déploie toute sa taille, se raidit, et derrière sa voilette noire fixe Isidoro. Isidoro serre le petit corps du chiot et baisse les yeux, glacé.