chroniquesdurien

Friday, July 18, 2008

006 - Un court instant sur Terre - Le Combattant

L'odeur du chiffon graisseux envahit le petit réduit qui lui sert de refuge depuis… il ne sait pas… plus. Longtemps. Sûrement longtemps. Sur la table en méchant bois enduite d'une méchante peinture marron, il pose le petit ballot. Ses doigts désormais gourds de vieil homme s'acharnent sur les noeuds. La vue du Lüger 9 mm, noir et racé, lui procure toujours le même coup au cœur. Dans la boîte en carton maculée de graisse, les dix dernières balles 9x19 mm. Lourde, la boîte, lourde. Le chargeur vide va si bien dans sa main. Combien de fois l'a-t-il rempli et vidé, ce chargeur ?
Ce gars qui prétendait être de la 26e Division — dite aussi Colonne Durruti —, avait juré que c'était cette arme qui avait fauché le sieur Buenaventura. Il demandait beaucoup d'argent pour le lui céder. Déserteur ? Agent provocateur ?
Il se souvint que la pointe de la pioche avec laquelle il se creusait un abri juste à côté du mitrailleur de la section était entrée dans le haut du crâne du gars de la 26e. Il la laissa plantée là, ramassa le Lüger, retourna les poches du gars qui gigotait encore un peu ; pas de papiers, juste une boîte de munitions.
Sa vieille mémoire, son vieux poing levé et sa vieille voix chantent face à la gueule noire et ronde du Lüger et les planches du réduit vibrent :
Por alli viene Durruti,
con las tablas de la ley,
para que sepan los obreros,
que no hay patria, dios ni rey.